WAKE ME UP / eugene.

Veste légère sur les épaules, la brise sur les paupières. L’odeur du printemps qui sommeille dans les arbres et dans la terre encore humide de l’hiver. Le ciel toujours aussi gris qu’à son habitude, mais plus léger cette fois, un gris clair qui permet une lumière douce. La température idéale pour s’assoir à l’extérieur pour lire - le vent qui n’est pas assez fort pour faire trembler les pages, et pas de soleil pour brûler la nuque. Zina, bible coincée sous son bras, traverse le petit jardin emménagé. Cour intérieure, sol de ciment, verdure pour compléter. Les feuilles qui reprennent de l’ampleur après l’hiver, et les bourgeons qui se pointent le bout du nez. Le pas déterminé mais pas pressé, elle se dirige vers un banc libre. Écouteurs dans les oreilles, la musique de son vieux iPod qui joue en boucle depuis bien trop d’années. Elle pourrait sans peine s’en procurer d’autres, mais elle ne se lasse pas des classiques. Ses lèvres qui dansent au rythme des paroles, alors qu’elle s’installe et ouvre sa bible.

Sourcils légèrement froncés de concentration, alors qu’elle parcoure les lignes familières. Elle connaît la bible, mais elle doit faire plus que la connaître - doit l’apprendre, l’aprivoiser. Que ces enseignements fassent partie d’elle, que son pouvoir s’imprègne en elle. Plongée dans sa lecture, les secondes s’écoulent autour d’elle, la brise les emmêlent et elle ne porte plus attention à ce qu’il y a autour d’elle. Mais au bout d’un moment, quelque chose attire son attention - un bruit réccurent, régulier, qui s’est ajouté au pas des passants et aux bruits environnants. Un frottement qui n’est pas habituel - qui se fond avec le reste tout en étant étranger. Alors elle relève les yeux, Zina. Regard doré qui scrute entre les feuilles des arbres, pour se poser sur la source du bruit. Quelqu’un est en train de nettoyer un mur, pas loin. Le graffiti qu’elle avait aperçu avec une certaine surprise, quelques jours auparavant - vandalisme non habituel, dans le coin.

Lui non plus, n’est pas habituel. La silhouette d’un type pas tellement plus âgé qu’elle, et pourtant loin d’être de son monde. La tignasse blonde et emmêlée, les longs bras et jambes, et cette grimace qu’elle croit deviner d’où elle est. Cute. La pensée la traverse et elle se raidit, Zina. Plisse des yeux et les baisse à nouveau sur sa lecture. Pas besoin d’y faire attention. Et pourtant, ça l’intrigue. Il n’a pas l’air d’un concierge - plutôt l’air d’être là parce qu’on l’y a forcé. Étudiant fautif ? Pourtant, il n’y a pas de supervision. Les théories s’entrechoquent, et chacune d’elle décuple sa curiosité. Who is he ?

Elle s’obstine à garder le nez baissé, malgré les trop nombreux regards qu’elle jette en sa direction. Déconcentrée, elle ne parvient pas à retourner à ses mots - et au bout de plusieurs minutes, referme la bible avec agaçement. Sans doute serait-elle mieux de rentrer à sa chambre, trouver refuge tranquille pour continuer son étude. Alors elle se relève, bible entre les doigts. Et elle s’avance, pour reprendre le chemin du retour. Pourtant ses pas la mènent vers l’inconnu. Par une curiosité malsaine, qui ne présage rien de bon. Mais qu’elle ne peut pas trop empêcher. Personne autour, pour juger ce qu’elle fait. Just a little peek. Alors elle s’approche. Reste à bonne distance, la brise qui soulève ses cheveux. « Did you do that ? » Elle demande, sans trop réfléchir, désignant le graffiti d’un signe de tête.

« No. » La réponse ne tarde pas à venir. Le mystère qui s’épaissit, alors qu’il aurait du s’éclaircir. Légère ride au front, alors que Zina continue d’observer l’étranger. Il laisse retomber son éponge, et la mousse éclabousse un peu le ciment au passage. Il paraît fatigué - pas de corps, mais d’esprit. Un regard qu’il sait maîtriser, un être qu’il semble contrôler. Mais il ne fait pas partie de ce décor, ça se voit à comment il semble le mépriser, et à se placer sur la défensive. Comme si elle serait là pour inévitablement se moquer - mais ce n’est pas le genre de Zina. Juger, peut-être, mais se moquer, pas vraiment. À chacun son chemin, à chacun ses erreurs - et elle en avait aussi, malgré tout. Il est grand, il est charmant, malgré la désinvolture et les gants aux mains. Zina est intriguée, elle ne peut pas le nier. Ne devrait sans doute pas s’approcher, alors qu’ils ne viennent pas du même monde, deux classes pas tout à fait destinées à se côtoyer, mais sa curiosité avait déjà fait le pire.

Elle se dit qu’elle devrait juste tourner les talons, mais alors il reprend la parole. « If I did, I would’ve chosen a less obvious place. » Elle hausse un sourcil, essayant de lui rendre son regard. Regard qui se vacille pas, regard qui semble la toiser de haut en bas. Elle aurait pu rougir, Zina, si seulement ce n’était pas aussi hostile, aussi froid. Comme une brise glaciale qui venait de les balayer, soudainement. Finalement, elle pince des lèvres. « Fair enough. » Les quelques mots murmurés, à peine assumés, alors qu’elle réalise qu’elle a sans doute fait une erreur en venant l’aborder. Un type comme lui n’a rien à faire avec une fille comme elle. Alors pourquoi t’es là, Zina ? « Why ? » Exaspéré, à vouloir qu’elle disparaisse. Désagrément, alors qu’il voudrait qu’on le laisse tranquille. Zina déglutit, un peu intimidée. Elle n’a pas la trempe d’affronter ces âmes là. Et pourtant, les mots lui échappent, un peu trop naturellement, comme d’une voix qui ne lui appartient pas, ou qui lui a seulement appartenu il y a bien longtemps. « It’s not very good. » Elle désigne le graffiti, dessin d’une mocheté à en faire pâlir les véritables artistes. « And that’s not how you spell egocentric. » Rapproche sa bible contre sa poitrine, comme pour dresser une barrière au cas où il viendrait pour mordre. Ses pieds qui restent là, alors qu’ils devraient glisser. S’en aller. « Why are you cleaning it, then ? If you're not the... artist ? » La voix qui reste simple, sans prétention et sans arrogance. Juste une certaine méfiance, qui provient de sa prudence. À ne pas vouloir enrager les loups pour rien, non plus, et se à laisser la place de déguerpir si ça dégénère.

@eugene o'neale
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« I know. » C’est sec, c’est sans appel. Ça claque dans la brise et ça mets fin à ce sujet de conversation. Il sait, et il n’a pas aimé comment elle l’a pris pour un idiot. Zina se renfrogne légèrement, mais elle ne peut pas dire qu’elle ne s’y attendait pas. Après tout, c’est elle qui l’a approché ainsi, qui a commencé à le harceler de questions en ne le connaissant pas - et, honnêtement, avec quelques idées préconcues. Pas juste pour lui, qui essayait juste de faire son boulot. Mais elle est curieuse, Zina, elle ne peut pas le nier, et ça fait en sorte qu’elle reste là, plantée devant lui. Une mauvaise décision, certainement, mais elle n’a pas grand-chose d’autre à faire et ça la divertit. Elle le toise toujours, l’inconnu, avec sa tignasse blonde et son corps élancé, et qui semble vraiment agaçé qu’elle reste là sans bouger.

Il reprend l’éponge, recommence le boulot. Zina l’observe, sourcils légèrement froncés. « My job. Except I’m not paid. » Le soupir qui passe ses lèvres, alors qu’il continue son boulot avec des mouvements brusques. Pas enchanté de ce qu’il fait, et encore moins enchanté de se faire déranger avec des questions. Et Zina ne comprend pas trop, jusqu’à ce qu’il précise la chose. « I think they call that community service. » Et elle opine de la tête, finalement. Le déclic se fait. Du travail communautaire. Un criminel, alors. Ou du moins, du genre à tremper dans un monde qui était totalement étranger au sien. « I see. » Qu’elle dit simplement, à mi-voix. Se disant que ce serait le bon moment de tourner les talons sans demander son reste, et de ne pas laisser deux vies qui n’ont rien à voir l’une avec l’autre de s’entre-mêler. « Why do you care ? » Sa question, cependant, interrompt son idée de mettre les voiles. Le regard méfiant, la voix brusque. « Aren’t you supposed to go Bible class or something ? » Elle baisse les yeux vers la Bible entre ses doigts, et comprend pourquoi il pose la question. Elle hausse les épaules, pas du tout honteuse de ses choix de lecture. « I was just curious. » Pas agaçée par sa méfiance ou son hostilité, habituée de se faire malmener par les autres pour ce qu’elle était. Pour ce qu’on avait fait d’elle. « It’s my day off. And there’s no such thing as Bible class. » Le ton qui se veut détaché, mais qui est tout de même un peu méfiant.

Elle déglutit, piétinant un peu. La curiosité qui pointe toujours le bout de son vilain nez, dans son esprit. Les questions trop nombreuses pour qu’elle soit en mesure de juste tourner les talons. « So, community service. What did you do ? » Et alors, un déclic se fait dans sa tête. Les yeux qui agrandissent légèrement, à la possibilité. « Are you - are you from the, huh… Y’know. The institute ? » Et elle essaie de paraître détendue, Zina. Mais elle est trop intriguée pour son propre bien. Qu’est-ce qu’on dit, déjà ? Curiosity killed the cat.

Alors tu ferais mieux de faire attention, Zina, avant de te brûler les ailes.

@eugene o'neale
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Il n’est pas du coin. Pas de son milieu, non plus. Un type d’un monde étranger au sien. Deux individus qui ont plutôt grandis dans des mondes opposés, et qui n’ont rien à faire à se côtoyer. Mais Zina, elle a toujours existée entre les frontières. Un peu ici, un peu là, et nulle part à la fois. Diffuse, appartenant au sol et flottant au-dessus. Toute sa vie, on a voulu la faire entrer dans un moule, et autant qu’elle s’y est adaptée, y’a toujours eu des coins carrés à ses angles ronds. Des petits bouts de liberté, des morceaux de pensée, qui ont fait en sorte que même si elle faisait partie d’un monde, elle était aussi ailleurs. Et c’est sans doute ça qui anime autant sa curiosité, devant celui avec qui elle ne devrait pas discuter. Délinquant, d’une manière ou d’une autre. Et elle se sent un peu stupide, peut-être, à se tenir là avec sa Bible entre les doigts. Mais c’est tout ce qu’elle connaît. Tout ce à quoi elle peut se raccrocher. Alors elle le fait. Lui, il soupire. « Yeah. I punched my step-dad a little bit too hard. » Elle l’observe juste, après cet aveu. Ne le juge pas - elle ne le connaît pas, après tout. Qui sait pourquoi il a fait ça. Elle ne tire pas de conclusions, même si ça serait pratique de le faire. « So they sent me there, yeah. » Elle continue de l’observer, en silence. Ne sait pas pourquoi elle pose toutes ces questions - et encore moins pourquoi il lui répond. Ça serait facile pour lui de juste l’ignorer, comme ça le serait pour elle de tourner les talons. Et pourtant, on est là. À discuter. Tu te demandes pas pourquoi ?

« Why do you even care ? » Elle est ramenée à la réalité, tirée de ses pensées. Comme s’il avait lu dans sa tête, un peu. Tourné vers elle, elle le regarde d’un air un peu confus. Ne sachant pas quoi répondre. Because I don’t. I don’t care. « Don’t they warn you against vermin like us in your pretty school ? » Elle accuse le venin sans tressailler. Pas du genre à se vexer - le sentiment d’appartenance n’est peut-être pas assez fort. Elle hausse les épaules, Zina. « Yeah, they do. » Continue de le regarder, alors qu’il se remets à frotter. « But I’m guessing you have a pretty solid opinion of us at your place, too. » Et étrangement, y’a une certaine malice dans sa voix. C’est venu naturellement. Pas moqueur, juste un peu amusé. Pas envie de faire la guerre. Juste de discuter. Juste de la curiosité. Pas de haine. « But I’m not scared of you. » Qu’elle lâche, la voix assurée. Un peu intimidée, certes - mais effrayée, non. « I was just curious. » Et elle réalise, après avoir parlé, comment ça sonne - curieuse de savoir, comme on est curieux des monstres de foires. « Well - I mean - I just mean, that… I don’t… » Elle lâche un soupir. « Anyway. I’m Zina. What’s your name ? » Dernier recours face à la panique - agiter le drapeau blanc. Autant se connaître un peu, non ?

@eugene o'neale
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« You’re giving yourself too much importance. » Elle arque un sourcil. Ne s’attendait pas à une telle remarque, elle doit bien l’avouer. Mais ce n’est pas méchant - juste une constatation. Et elle sait que ce n’est pas personnel, non plus. Une généralisation, comme elle l’avait fait avant lui. « Yeah, some of us talk shit on your back. But they’re mostly jealous. You’re lucky, and they’re not. » Et elle a envie de lâcher un petit rire. Lucky ? Ce n’est pas comme ça qu’elle se sent, la plupart du temps. Lucky. Elle n’avait jamais eu de chance, Zina. Mais elle comprenait ce qu’il voulait dire. Les pensées qui s’égarent, quelques secondes. La chance d’avoir eu un toit. Des moyens. Des opportunités. Cette chance-là. Et elle ne peut rien répondre, face à tout ça. Consciente que pour ça, elle était née dans le bon foyer. En quelque sorte.

Puis, elle s’embourbe. S’emmêle dans ses mots, et réalise le terrain glissant dans lequel elle s’est engagée. Devrait peut-être juste baisser les bras sur une cause qu’elle ne pouvait pas gagner. Il est là pour travailler, et c’est elle qui le dérange. Elle qui insiste. Et pourtant, il lui marmonne, that’s fine. Clairement décidé à continuer le boulot, et à ne pas se laisser arrêter par sa présence. Et elle s’attend juste à ce qu’il l’ignore, et que ça se termine là. Mais non. « Eugene. » Le nom parvient à ses oreilles, et Zina ne peut pas s’empêcher de sourire. Un minuscule sourire qu’il ne verra jamais. Qu’elle ne peut pas trop s’expliquer. Eugene. « So, what now ? You gonna watch me till I’m done ? You afraid I would break something ? Steal some flowers, maybe ? » Elle ne se laisse pas impressionner par son ton ou par ses mots. Hausse simplement les épaules, en s’étirant un peu le dos. « Not that I would know what you would do with flowers, but… » Elle comprend que ce n’est pas à prendre au pied de la lettre. Le léger soupir qui lui échappe, alors qu’elle observe toujours ses mouvements. « No. I’ll leave you to it. » Le menton redressé. Y’a aucune raison de rester là. De lui faire la conversation. Juste le moment de tourner les talons, et de passer à autre chose. Retourner à sa vie, et le laisser retourner à la sienne. Pas de raison de s’attarder. « It was nice to meet you, Eugene. » La politesse dans la voix, pourtant sincère - et elle lui offre un petit sourire, au passage. Luttant tout de même contre l’envie de s’assoir un peu plus loin pour vraiment le regarder terminer le boulot - mais y’a un peu plus de bon sens dans sa tête. « Good luck with that. » Elle désigne le graffiti, avec un dernier signe de tête.

Maybe I’ll see you around.